Énergie : l'Europe en retard d'une révolution
L'Europe de l'après-guerre s'est structurée d'abord autour de l'énergie. Mais elle peine aujourd'hui à construire un projet énergétique pour le XXI e siècle faute de reconnaître que sa politique énergie-climat n'est plus adaptée au contexte mondial. Quatre lames de fond l'ont bouleversée : une crise économique d'une brutalité inouïe, qui fait plonger la demande énergétique européenne ; la révolution américaine du gaz de schiste qui crée un choc d'offre et de compétitivité outre-Atlantique ; l'échec des négociations internationales sur le climat qui défavorise les mieux-disant, donc l'Europe ; le printemps arabe qui rappelle la fragilité de certaines sources d'approvisionnement.
Ce bouleversement du système énergétique mondial met en lumière les incohérences jusqu'alors latentes des politiques énergie-climat en Europe. Le contrat est certes rempli en ce qui concerne la réduction des émissions de CO2… mais jusqu'à quand, avec le grand retour du charbon dans le bouquet énergétique, notamment allemand ? En revanche, la sécurité et la compétitivité de nos systèmes énergétiques, notamment électriques, sont en danger. La part croissante des énergies renouvelables intermittentes dans la production d'électricité et leur accès prioritaire au réseau mettent à mal la rentabilité des investissements. Quant aux consommateurs, loin de bénéficier de la baisse des prix de gros de l'électricité due aux surcapacités actuelles, ils doivent payer pour le développement des nouvelles énergies et des réseaux mais aussi pour l'entretien et le renforcement des moyens existants.
Ce constat est encore plus inquiétant si on le compare à la situation énergétique du premier partenaire commercial de l'Union européenne, les Etats-Unis. La révolution non conventionnelle, qui bat son plein en matière gazière et ne fait que s'amorcer en matière pétrolière, conduit les Etats-Unis à accroître leur sécurité énergétique et leur compétitivité voire à réduire leurs émissions de CO2 dans la production d'électricité grâce au remplacement du charbon par le gaz. La révolution énergétique américaine se double d'une (nouvelle) révolution industrielle : le pays phare des nouvelles technologies développe à nouveau les anciennes, avec des investissements en hausse dans les secteurs du raffinage et de la pétrochimie grâce à un prix du gaz au tiers de son niveau en Europe. L'industrie européenne en est la première victime. Dans les secteurs exposés à la concurrence internationale, le coût de l'énergie est aussi, voire plus important, que le coût du travail : jusqu'à 75 % des coûts totaux pour les gros électro-intensifs.
Faut-il qu'un black-out survienne pour qu'on prenne conscience de l'urgence ? L'Europe ne doit plus chercher à faire mieux que ses concurrents dans la lutte contre le changement climatique mais déjà réussir à faire bien. Cela veut dire remettre sur pied un mécanisme qui donne son vrai prix au CO2 sans pénaliser l'industrie. L'Europe doit mettre en oeuvre une gouvernance claire de l'énergie qui donne la priorité à la compétitivité et à l'innovation. L'Europe doit maîtriser le développement des énergies renouvelables en construisant un cadre stable pour une politique énergético-industrielle qui fasse émerger des champions européens. Trois conditions préalables sont requises : que l'Allemagne, qui a une vraie politique énergétique, en démontre la soutenabilité économique ; que la France en formule rapidement une, crédible, stable et pragmatique ; et que Paris et Berlin soient beaucoup plus ambitieux dans leurs coopérations industrielles et concluent un pacte de neutralité sur le nucléaire. La France doit accepter la politique a-nucléaire de l'Allemagne. Celle-ci doit renoncer à exporter en Europe sa politique énergétique qui n'est possible que parce que ses voisins ne la suivent pas.
La compétition internationale est aussi une compétition entre les systèmes énergétiques. A l'heure où s'ouvre la grande négociation entre les Etats-Unis et l'Union européenne en vue de la conclusion d'un accord de libre-échange, il faut le dire haut et fort.
Article paru dans les Échos, le 24 juillet 2013
Dans l'article des Echos, lire CO2 au lieu de CO
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