Quelle est la stratégie de la France ?
Avec Tara Varma, Elie Tenenbaum et Isabelle Dufour. En novembre, le président Macron a présenté la Revue nationale stratégique, document-cadre pour les armées françaises. Le Collimateur reçoit Elie Tenenbaum (IFRI),Tara Varma (ECFR) et Isabelle Dufour (Eurocrise) pour en examiner les objectifs et les limites. Voici un résumé de l'intervention d'Elie Tenenbaum.
La Revue nationale stratégique (RNS) est un document cadre qui vise à fixer les buts et les moyens de la stratégie de défense et de sécurité nationale française pour une période donnée après avoir fait l’évaluation de l’environnement stratégique. Le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale en est cette année l’auteur et le Président de la République le signataire. La Loi de programmation militaire, cadre budgétaire des armées françaises, est censée ajuster les moyens qui leurs sont donnés aux ambitions exprimées par la Revue nationale stratégique. Cependant, on constate une tendance croissante à ce que les objectifs stratégiques de la RNS se conforment, par anticipation, aux moyens que le ministère du Budget est susceptible d’accorder aux armées à l’issue d’arbitrages budgétaires.
La Revue nationale stratégique ne répond à aucune obligation juridique ou réglementaire, pourtant en vigueur dans d’autres pays comme les Etats-Unis. Par conséquent, la RNS n’est pas tenue de se conformer à un périmètre de sujets précis ni ne suit un calendrier d’élaboration et de publication régulier. En ce sens, la France présente un niveau de maturité moindre dans cet exercice, en comparaison des Etats-Unis qui publient plus fréquemment et en plus grand nombre des documents cadres de leur stratégies, à l’image de la National Security Strategy, de la National Defense Strategy ou de la Nuclear Posture Review. Les britanniques sont également familiers de cette pratique comme l’illustre la rédaction de l’Integrated Review, document cadre d’une stratégie de puissance globale, avec plusieurs déclinaisons selon les domaines, comme le Defense Command Paper pour le secteur de la défense.
En l’absence d’obligation juridique, les documents cadres de la stratégie des armées françaises se sont d’abord succédés selon un rythme irrégulier, en fonction de l’évolution des défis se présentant à la défense nationale. Le premier Livre Blanc, ancêtre de la RNS, a été publié en 1972. Fixant la stratégie de défense française durant la guerre froide, il a été remplacé par un nouveau Libre Blanc à l’issue de celle-ci, en 1994, inaugurant un nouveau cycle géopolitique. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a marqué le début de la présidentialisation des Libre Blanc, chaque mandat ayant donné lieu depuis à la publication d’un nouveau document cadre (Livre Blanc de 2008, de 2013, Revue stratégique de 2017, Revue nationale stratégique de 2022). Les président successifs ont en effet voulu les utiliser comme un marqueur de leur politique de défense.
Le première défaut de la RNS est le flou qui entoure le périmètre des sujets traités. Le document fixe-il le cadre d’une stratégie de puissance globale ou d‘une stratégie de défense ? Le fait que le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale, institution interministérielle, en soit l’auteur, et que les thèmes abordés (influence, résilience) dépassent le simple domaine de la défense, laissent penser à une stratégie de puissance. Or, si tel est le cas, de nombreux sujets de première importance, tels que la compétition économique, technologique ou la culture, sont mis de côté. De plus, on ne sait pas à qui s’adresse précisément ce document cadre ce qui atténue son intérêt pour l’ensemble de l’administration.
Si la RNS confirme dans une première partie l’importance croissante prise par la compétition stratégique entre grandes puissances, évolution déjà perçue par la Revue stratégique de 2017, elle se veut ensuite trop exhaustive dans la présentation des objectifs stratégiques. Ainsi, elle ne prend pas en compte la limitation des moyens français qui exigerait de hiérarchiser ces objectifs. Cela découle peut-être d’une volonté de compromis visant à concilier l’ensemble des priorités exprimées par tous les services de l’administration. Enfin, la présentation des objectifs stratégiques est dépourvue de plans d’actions détaillés ce qui limite son intérêt opérationnel. Dès lors, la RNS peut-être comprise comme un outil de diplomatie publique, document déclaratoire adressé à nos partenaires et compétiteurs, et moins comme un document cadre pertinent pour nos forces armées.
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