Le marché unique européen et la compétitivité de l'Union européenne
Dans cette deuxième chronique par Marie Krpata, chercheuse au Comité d'études des relations franco allemandes (Cerfa) à l'Ifri pour parler des rapports récemment présentés par Enrico Letta et Mario Draghi sur le marché unique européen et la compétitivité de l’UE. C’est aussi l’occasion de revenir sur la « sécurité économique », un terme de plus en plus à la mode en France et en Allemagne mais au fond on se demande ce qu’il recouvre.
Titre Edito
Quels sont les enjeux sur le plan économique en Europe – et en particulier en France et en Allemagne – en ce moment ?
Quels sont les enjeux sur le plan économique en Europe – et en particulier en France et en Allemagne – en ce moment ?
En France, le niveau d’endettement atteint les 112% du produit intérieur brut (PIB) et le déficit public les 5,5% – on est loin des critères de Maastricht.
En Allemagne, on fait face à une récession et les industries énergivores sont particulièrement fragilisées par les effets de la guerre en Ukraine. D’autre part, des secteurs clef, comme l’industrie de l’automobile, souffrent d’une consommation en berne, à la fois en Allemagne, mais aussi en Chine, le principal marché d’exportation de l’Allemagne. Des entreprises comme Volkswagen sont fragilisées par le retard pris sur des concurrents comme le chinois BYD ou l’américain Tesla sur les véhicules électriques. Or, le secteur de l’automobile est crucial. C’est toute une chaîne de valeur qui est touchée et ce sont des millions d’emplois en Europe qui en dépendent.
Il y a une sérieuse crainte de désindustrialisation, renforcée par des politiques industrielles comme le fameux « Inflation Reduction Act » américain : les entreprises pourraient privilégier une implantation ou délocaliser leurs activités aux Etats-Unis au détriment de l’Europe pour profiter de subventions et de crédits d’impôts.
Titre Edito
Dans ce contexte, deux rapports ont été établis à quelques mois d’écart sur le marché intérieur et sur la compétitivité de l’UE. Qu’en ressort-il ?
Dans ce contexte, deux rapports ont été établis à quelques mois d’écart sur le marché intérieur et sur la compétitivité de l’UE. Qu’en ressort-il ?
Plusieurs constats découlent du rapport d’Enrico Letta : le marché européen est fragmenté, l’UE n’investit pas assez dans la recherche et le développement et certains grands groupes américains ont davantage de moyens à leur disposition que l’Union européenne. Autant de handicaps par rapport à la Chine et aux Etats-Unis.
Le rapport de Mario Draghi fait écho au rapport d’Enrico Letta. Il explique que :
- L’Europe a raté la révolution numérique ce qui la freine aujourd’hui en matière d’innovation.
- Mario Draghi en appelle aussi à une débureaucratisation de l’UE pour délester en particulier les petites et moyennes entreprises.
- De plus, Mario Draghi affirme que si l’UE veut éviter le décrochage par rapport aux Etats-Unis et à la Chine, elle doit investir, évoquant la possibilité d’un endettement commun. L’Allemagne n’y est pas favorable.
- D’après Mario Draghi, il faut aussi une politique commerciale étrangère cohérente au sein de l’UE, c’est-à-dire renforcer la résilience des chaînes de valeur de l’UE par des accords commerciaux. La France y est réticente.
Titre Edito
La « sécurité économique » gagne du terrain en Europe, on l’a dit dans l’introduction. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
La « sécurité économique » gagne du terrain en Europe, on l’a dit dans l’introduction. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Le constat est le suivant : si les entreprises européennes sont en difficulté c’est aussi à cause de certaines pratiques d’acteurs tiers. Par exemple si on s’intéresse aux Etats-Unis, l’extraterritorialité du droit américain, les sanctions secondaires ou les contrôles aux exportations. D’autre part, les pratiques déloyales de la Chine comme les subventions d’Etat pour les véhicules électriques. La Chine a d’ailleurs menacé l’UE de contremesures en cas de droits de douane supplémentaires des Européens sur les véhicules électriques chinois, ce qui inquiète en particulier l’Allemagne.
Ces exemples montrent qu’on rompt avec un libéralisme économique profondément ancré dans l’ADN de l’UE. En Allemagne, cette prise de conscience, accélérée par la pandémie du coronavirus et le découplage avec la Russie pour l’approvisionnement en hydrocarbures, a été rude.
Résultat : la sécurité prend le dessus sur les considérations d’efficacité économique. Pour concilier les deux, on parle de « sécurité économique », à laquelle l’UE a dédié une stratégie en juin 2023.
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