Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

Le Japon : un acteur majeur à l’ère de la rivalité sino-américaine ?

Articles
|
Date de publication
|
Image de couverture de la publication
diplomatie_magazine.png
Accroche

Compte tenu de ses liens historiques avec Washington, et de son rapprochement plus récent avec Pékin, le Japon pourrait, en confirmant sa légitimité internationale, constituer un pôle de stabilité dans une Asie indo-pacifique sous haute tension. C’est en tout cas l’un de ses objectifs stratégiques majeurs.

Corps analyses

En 2019, l’agenda politique et diplomatique du Japon sera chargé en termes de calendrier et de symboles : l’abdication de l’empereur fin avril précèdera le Sommet du G20, organisé à Osaka fin juin. A cette occasion, des rencontres importantes sont programmées avec Vladimir Poutine et Xi Jinping, qui devrait être le premier chef d’Etat chinois à se rendre au Japon depuis dix ans. Des élections partielles à la Chambre haute se tiendront durant l’été alors que le sommet Japon-Afrique (TICAD) va clore la saison estivale. La hausse de la taxe sur la consommation en octobre sera concomitante avec l’organisation de la coupe du Monde de Rugby. La négociation d’un accord commercial avec les Etats-Unis figure également sur la liste des priorités japonaises pour cette année.

Réélu à la tête de son parti – le Parti Libéral Démocrate – en septembre 2017, Shinzo Abe devrait pouvoir rester à la tête du pays jusqu’en 2021 et ainsi détenir le plus long mandat de l’après-guerre (il est arrivé au pouvoir en septembre 2012, après un premier mandat éclair en 2006-2007). Cette stabilité permet à Tokyo de se présenter comme un pilier central et un défenseur de la démocratie libérale au sein d’une communauté internationale déchirée entre montée des populismes et régimes autoritaires. Sur la scène internationale, le Japon n’est désormais plus seulement réactif, mais fait preuve d’initiative pour mieux défendre ses intérêts alors que l’unilatéralisme du Président américain et la montée en puissance de la Chine rebattent les cartes. En particulier, Shinzo Abe s’attache à développer une grande stratégie (l’Indo-Pacifique Libre et Ouvert) et diversifier ses partenaires pour ancrer sa légitimité internationale. Le Japon apparait donc dans une certaine mesure comme un pays clé dans le contexte actuel de rivalité sino-américaine.

Le Japon face à Trump : tenir le cap de l’alliance

Dans un premier temps, l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche a suscité l’inquiétude à Tokyo. Durant sa campagne, ce dernier avait en effet multiplié les provocations, appelant le Japon à payer plus pour la protection américaine, et, sinon, à se doter de l’arme nucléaire pour assurer lui-même sa défense.

Shinzo Abe s’est ainsi attaché à construire une relation de confiance avec le dirigeant américain, multipliant les rencontres et les conversations téléphoniques. De fait, le Japon n’a guère le choix : s’entendre avec Trump est une question de survie pour Tokyo, qui reste toujours dépendant de son alliance pour assurer une dissuasion crédible face à la Chine et à la Corée du Nord. Ces démarches ont porté leurs fruits sur le plan sécuritaire, Donald Trump ayant réaffirmé que le traité de sécurité bilatéral restait la pierre angulaire de la paix en Asie, et qu’il s’appliquait bien aux îles Senkaku, revendiquées par Pékin. De même, la Stratégie de Sécurité Nationale américaine publiée en 2018 identifiait la rivalité avec la Chine comme une priorité stratégique, s’alignant ainsi avec le positionnement japonais.

Sur le plan commercial toutefois, Tokyo se trouve davantage en difficulté. Donald Trump ne s’embarrasse pas de la promotion des valeurs libérales, cheval de bataille de Shinzo Abe. Dès ses premiers jours de mandat, Trump avait ainsi annoncé que les Etats-Unis se retiraient du Traité Trans-Pacifique (TPP). Cet accord de libre-échange ambitieux, regroupant 12 pays des deux rives du Pacifique, constituait le noyau dur du rééquilibrage américain dans la zone visant à conserver l’ascendant sur une Chine aux visées révisionnistes. Cet abandon a donc constitué un revers important pour le Japon qui avait déjà ratifié le traité. Néanmoins, une fois assuré que Washington ne s’opposerait pas à l’initiative, Tokyo a décidé de conduire les discussions pour l’adoption d’un TPP à 11 (entré en vigueur en décembre 2018), avec l’espoir de voir les Etats-Unis revenir à l’accord sur le moyen terme. Au printemps 2018, Washington impose des taxes sur les exportations d’acier et aluminium, sans faire bénéficier le Japon du régime d’exemption accordé aux alliés. Tokyo finit, à contrecœur, par accepter l’ouverture de négociations pour un accord commercial bilatéral.

Sur le dossier nord-coréen, Tokyo s’est également retrouvé en porte-à-faux avec Washington. La tension était à son comble dans l’archipel au plus fort de la crise des missiles de 2016-2017 : plus de huit missiles nord-coréens étaient tombés dans la zone économique exclusive du Japon et deux avait survolé l’île. Pour autant, l’accalmie et le retour à la diplomatie dans la foulée des Jeux olympiques de Pyeongchang a ouvert une période d’incertitude plutôt défavorable au Japon. Tokyo se retrouve relativement marginalisé alors que Donald Trump n’a pas consulté son homologue japonais avant d’annoncer sa volte-face en faveur d’un dialogue avec Pyongyang. Le Japon reste attaché au démantèlement « complet, vérifiable et irréversible » de l’arsenal nucléaire nord-coréen et cherche en priorité à régler la question des « kidnappés » (au moins 17 citoyens japonais ont été kidnappés par Pyongyang dans les années 1970 et 1980), alors que Donald Trump poursuit une « diplomatie des sommets » avec son homologue nord-coréen.

Etant donné l’importance de l’alliance pour la sécurité du Japon d’une part, et le caractère lunatique du nouveau Président américain d’autre part, Tokyo continue de multiplier les signes de bonne volonté pour s’assurer du soutien pérenne de son partenaire. Shinzo Abe a par exemple annoncé un budget de la défense nippon en hausse, avec d’importants achats d’équipement de défense américain (notamment une centaine de chasseurs F-35)[1].

Le Japon et la Chine : un réchauffement conjoncturel de la relation

L’année 2018 a marqué le quarantième anniversaire du traité de paix et d’amitié entre Tokyo et Pékin et les deux pays ont essayé de mettre en avant leurs convergences. Ce réchauffement intervient également dans le contexte de tensions commerciales avec l’Amérique de Trump et sa politique America First.

Le dialogue économique sino-japonais est ainsi relancé au printemps 2018 après un hiatus de huit ans. Les deux gouvernements ont également annoncé la mise en place d’un mécanisme de communication visant à éviter les incidents maritimes et aériens en mer de Chine orientale. En effet, depuis 2012 et le rachat par le gouvernement japonais à leur propriétaire privé de trois des îlots des Senkaku, des bateaux de pêche et des garde-côtes chinois patrouillent sans discontinuer autour des îles et pénètrent régulièrement dans les eaux territoriales japonaises.

En octobre 2018, lors d’un sommet à Pékin, Xi Jinping et Shinzo Abe ont proclamé une « nouvelle ère » pour les relations bilatérales, s’appuyant notamment sur la coopération économique dans des pays tiers[2]. En effet, le Japon, d’abord très opposé au méga-projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie, a progressivement montré des signes d’ouverture. Dès juin 2017, le Premier ministre Abe annonçait le soutien du Japon aux projets chinois, à plusieurs conditions : si la transparence et la viabilité économique des projets étaient assurées ; s’ils s’appuyaient sur une politique d’endettement responsable ; s’ils se développaient en harmonie avec le Traité Trans-Pacifique, et s’ils contribuaient à la paix et la prospérité de la région. Il s’agit d’une décision pragmatique : l’inscription du projet dans la Constitution chinoise signifie que les Nouvelles Routes de la Soie sont maintenant un projet structurel, au cœur de la stratégie de Pékin. Cela rend difficile une opposition frontale de la part du Japon, qui ne souhaite pas non plus se marginaliser. Il s’agit également de saisir les éventuelles opportunités économiques ouvertes par une participation japonaise.

Le gouvernement nippon s’est donc engagé dans une campagne pour encourager les entreprises japonaises à participer aux projets développés dans ce cadre en offrant des garanties et soutien à l’investissement. Toutefois, malgré ce volontarisme économique, il semble que les entreprises japonaises aient parfois des difficultés à répondre aux sollicitations gouvernementales. En décembre 2018, on a par exemple appris que Itochu et Hitachi se retiraient d’un consortium nippo-chinois pour la mise en œuvre d’un projet de train à grande vitesse en Thaïlande – le projet n’apparaissant pas viable économiquement[3]. Cela semble pointer un hiatus entre les entreprises japonaises qui travaillent parfois déjà avec la Chine dans le cadre de projets des Routes de la Soie sans en faire la publicité, et les demandes du gouvernement pour coopérer sur d’autres projets.

La participation japonaise aux Routes de la Soie reste donc pour le moment symbolique.  En outre, aucun des problèmes de fond qui opposent les deux pays – questions mémorielles, différend territorial, rivalité stratégique - n’est réglé, et la montée en puissance chinoise reste le plus important défi à gérer pour la diplomatie japonaise.

Retrouvez le texte intégral dans le numéro n°96 de Diplomatie Magazine, disponible en kiosque.

 

[1] « Le Japon envisage d’acquérir 100 avions de combat F-35 supplémentaires », Zone militaire, 27 novembre 2018.

[2] Shunsuke Shigeta, « Xi and Abe pledge 'new era' of cooperation », Nikkei Asian Review, 27 octobre 2018.

[3] Toru Takahashi, « Sino-Japanese cooperation thrown off track over Thai rail project », Nikkei Asian Review, 16 décembre 2018.

Decoration

Contenu disponible en :

Régions et thématiques

Partager

Decoration
Auteur(s)
Photo
photo-profil-cp-23_nb_2.jpg

Céline PAJON

Intitulé du poste

Chercheuse, responsable de la recherche Japon et Indo-Pacifique, Centre Asie de l'Ifri

Image principale
Gros plan sur le monde asiatique
Centre Asie
Accroche centre

L’Asie est le théâtre d’enjeux multiples, économiques, politiques et de sécurité. Le Centre Asie de l'Ifri vise à éclairer ces réalités et aider à la prise de décision par des recherches approfondies et le développement d’une plateforme de dialogue permanent autour de ces enjeux.

Le Centre Asie structure sa recherche autour de deux grands axes : les relations des grandes puissances asiatiques avec le reste du monde et les dynamiques internes des économies et sociétés asiatiques. Les activités du Centre se concentrent sur la Chine, le Japon, l'Inde, Taïwan et l'Indo-Pacifique, mais couvrent également l'Asie du Sud-Est, la péninsule coréenne et l'Océanie.

Le Centre Asie entretient des relations institutionnelles suivies avec des instituts de recherche homologues en Europe et en Asie et ses chercheurs effectuent régulièrement des terrains dans la région.

Il organise à Paris tables-rondes fermées, séminaires d’experts, ainsi que divers événements publics, dont sa Conférence annuelle, avec la participation d’experts d’Asie, d’Europe ou des Etats-Unis. Les travaux des chercheurs du Centre et de leurs partenaires étrangers sont notamment publiés dans la collection électronique Asie.Visions.

Image principale

La coopération de sécurité maritime dans le Pacifique

Date de publication
06 décembre 2024
Accroche

La France joue un rôle important dans la sécurité maritime du Pacifique, notamment à travers la participation active de ses territoires d'outre-mer et la contribution de ses forces armées stationnées aux initiatives de coopération régionale.

Image principale

L'IA et les normes techniques en Chine et dans l'UE : Priorités divergentes et le besoin de terrain d'entente

Date de publication
31 octobre 2024
Accroche

Vu le potentiel hautement perturbateur de l'IA, la coopération mondiale en matière de sécurité et de gouvernance de l'IA est primordiale. Cependant, le potentiel profondément transformateur de l'IA garantit également qu'un niveau élevé de concurrence et de rivalité systémique est probablement inéluctable. Comment l'UE peut-elle gérer au mieux sa relation complexe avec la Chine dans le domaine de l'IA afin d'assurer un niveau nécessaire de coopération malgré la concurrence et les rivalités ? 

Image principale

L’essor du programme spatial taïwanais : Construire une industrie, soutenir la sécurité nationale

Date de publication
13 novembre 2024
Accroche

Taïwan, connu pour son leadership dans le domaine des semi-conducteurs et des technologies de l’information et de la communication (TIC), fait aujourd’hui des progrès significatifs dans l’industrie spatiale. Bien qu’historiquement modeste, le programme spatial taïwanais s’est transformé depuis 2020, sous l’impulsion de la présidente Tsai Ing-wen qui s’est engagée à développer les capacités spatiales du pays. Parmi les étapes clés figurent l’adoption de la loi sur le développement spatial et la création de l’Agence spatiale taïwanaise (TASA), qui a renforcé les ressources et la visibilité des ambitions spatiales de Taïwan.

Image principale

La surproduction chinoise de puces matures : Des craintes infondées

Date de publication
07 octobre 2024
Accroche

La Chine, plutôt que d’inonder le marché mondial des semi-conducteurs à technologies matures, s’en dissocie. Si les politiques industrielles chinoises favorisent de plus en plus la production nationale de semi-conducteurs, sa propre demande en puces, en constante augmentation, devrait empêcher une arrivée massive de puces chinoises à bas prix sur les marchés étrangers. Cependant, à mesure que Pékin progresse dans son objectif de réduire la dépendance des industries nationales aux puces étrangères, les entreprises européennes et américaines de semi-conducteurs à technologies matures pourraient ressentir les effets d’un écosystème de semi-conducteurs chinois de plus en plus « involué  » (内卷).

Comment citer cette étude ?

Image de couverture de la publication
diplomatie_magazine.png
Le Japon : un acteur majeur à l’ère de la rivalité sino-américaine ?, de L'Ifri par
Copier