Introduction : un bilan de la COP26
L'année 2022 marque les trente ans de l'adoption de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Depuis 1992, ses 197 parties tentent d'articuler leurs efforts pour maîtriser les émissions anthropiques de gaz à effet de serre et prévenir les dangers du réchauffement climatique.
Pourtant, la régularité des Conférences des parties (COP), l'intensité croissante de leur couverture médiatique et de la prise de conscience globale n'ont pas permis d'enrayer la menace. La planète connaît déjà une hausse des températures moyennes de 1,2 °C par rapport à l'ère préindustrielle et les émissions annuelles globales ont franchi un nouveau record historique en 2021. Les déstabilisations sont déjà à l'oeuvre, et leurs effets sur nos conditions d'existence sont sans cesse mieux documentés par les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
Puisqu'aucun État ne peut à lui seul infléchir la trajectoire globale des émissions, l'approche multilatérale a toute sa pertinence. Mais la diplomatie climatique doit tenir compte des équilibres géopolitiques. À la fin des années 1990, les parties ont fait le choix d'établir un cadre de coopération formel et exigeant, celui du protocole de Kyoto, qui allouait aux États
développés des cibles de réduction de leurs émissions nationales, définies sur la base de leur contribution historique au changement climatique et de leurs capacités financières. Très vite, ce cadre s'est avéré inopérant car les signataires, et en particulier les États-Unis, ont refusé d'être tenus à des obligations de résultat. Enfin, le centre de gravité des émissions mondiales basculait vers les pays émergents, dont la Chine, alors que ceux-ci étaient toujours considérés comme des pays en développement, donc exempts de toute contrainte.
Au tournant des années 2010, les négociations sur le partage du fardeau climatique semblaient vouées à l'échec, et c'est de ce constat qu'est née la philosophie de l'Accord de Paris. Adopté sous présidence française en 2015, cet accord ne renonce aucunement aux grands objectifs de la Convention, mais il mise sur l'auto-différentiation pour garantir une participation
universelle aux efforts de réduction des émissions. Une fois cette condition remplie, restait à mettre en place un cercle vertueux d'ambition qui assurerait la mise en cohérence progressive des engagements nationaux.
Deux scénarios étaient dès lors possibles. Si les parties privilégiaient une lecture procédurale de l'Accord de Paris, ce dernier avait toutes chances de rester une coquille vide : les contributions nationales seraient bien actualisées tous les cinq ans mais leur manque d'ambition récurrent ne ferait l'objet d'aucune sanction formelle. À l'inverse, si la mise en oeuvre de cet accord s'accompagnait d'un renforcement de la pression des pairs et de la société civile, alors la perspective de « sauver le climat » restait à notre portée. Dans ce combat de longue haleine, les COP jouent un rôle essentiel parce qu'elles permettent, chaque année et durant deux semaines, de braquer la lumière médiatique sur les risques systémiques associés aux changements climatiques et de placer l'ensemble des acteurs face à leurs responsabilités.
À cet égard, la COP26, tenue à Glasgow en novembre 2021, a déjoué les scénarios les plus sombres. Elle a affiché un record de participation avec l'accueil de 40 000 délégués nationaux et plus de 120 chefs d'État et de gouvernement. Loin de s'essouffler, la mobilisation continue de s'étendre, des coalitions thématiques toujours plus nombreuses sont lancées et la grande majorité des États s'engagent à revoir en profondeur leur modèle de croissance économique pour intégrer la contrainte climatique.
En dépit de cela, la COP26 laisse un sentiment d'inachevé. Avec une administration Biden pro-climat et une progression indéniable dans la prise de conscience environnementale, les étoiles étaient de nouveau alignées et l'on pouvait espérer un tournant historique, comme en 2015. Pourtant, force est de constater que les contributions nationales pour l'horizon 2030 sont collectivement bien en deçà du niveau d'effort préconisé par le GIEC, et que leur mise en oeuvre demeure incertaine. Comment expliquer ce décalage persistant entre les mots et les actes ? Où se situent les principaux blocages, et quelles leçons faut-il en tirer pour l'avenir du combat climatique ? Le dossier ici présenté entend analyser les résultats mitigés de cette COP26 sous l'angle des grands déterminants de la diplomatie climatique.
Christian de Perthuis revient sur la mécanique des COP et dresse un bilan de la mise en oeuvre de l'Accord de Paris à l'heure du démarrage du premier cycle quinquennal d'engagements. Il mesure les écarts abyssaux entre les promesses de Glasgow et une trajectoire d'émissions compatible avec le seuil critique des +1,5 °C, et propose une lecture économique des engagements climatiques formulés par chacun des grands blocs régionaux. Les appels à la morale ne suffiront pas, l'attention doit se porter sur les différents chantiers susceptibles d'accélérer la transition globale. Le relèvement des ambitions nationales dépendra de notre capacité à organiser des transferts financiers entre pays, à introduire une tarification du carbone redistributive au niveau international et à programmer la sortie des énergies fossiles.
Comme le rappellent Pierre-Frank Chevet et ses co-auteurs, la lenteur des négociations climatiques internationales n'est pas sans lien avec l'inertie des systèmes énergétiques. Notre budget carbone s'amenuise et il y a urgence à faire les bons choix pour, d'une part, réduire la demande grâce à l'efficacité énergétique et au changement des comportements et, d'autre part, pousser l'électrification des usages et promouvoir les énergies décarbonées. Techniquement envisageable, le succès de cette transition dépendra avant tout de la cohérence des politiques publiques, de l'acceptabilité sociale des solutions retenues et d'un effort d'investissement soutenu en matière d'innovation.
Le sentiment de frustration donné par cette COP26 tient aussi à l'absence de progrès tangible dans la reprise du dialogue entre États-Unis et Chine sur l'enjeu du climat. Proposant une perspective chinoise sur cette épineuse question, Kevin Tu souligne que les deux plus grands émetteurs mondiaux ont chacun intérêt à isoler le climat de leurs nombreux sujets d'affrontement. De la sorte, l'administration Biden espère convaincre l'électorat américain de ses efforts pour obtenir une réciprocité des engagements chinois, tandis que la Chine voit là l'occasion de se poser en puissance responsable, à l'heure où son image internationale est fortement dégradée. Les diplomates sont sortis gagnants, mais pas le climat. Sans amélioration notable de la relation sino-américaine au sens large, il n'y a guère à attendre du dialogue climatique entre ces deux grands rivaux.
Ainsi, les pays industrialisés peinent-ils à déployer les réformes qui s'imposent dans la décennie en cours, comme ils peinent à anticiper l'évolution des équilibres mondiaux et leur incidence sur l'avenir du combat climatique. Jean-Michel Severino, dans son analyse des financements-climat à destination de l'Afrique, pointe l'impasse d'une discussion centrée sur la compensation de torts historiques. Il soutient que la seule façon d'assurer une croissance mondiale durable est de parvenir à saisir les opportunités considérables que peut apporter la transformation démographique et économique du continent africain. Ce changement d'approche mériterait d'être au coeur de la refondation du partenariat entre l'Union européenne et l'Afrique, que la France appelle de ses voeux.
Ce dossier rappelle que les défis sont immenses. Puisque chaque dixième de degré compte, il faut se réjouir des avancées obtenues lors de chacune des COP et chercher aussitôt de nouveaux leviers d'action pour préparer le terrain des prochaines, tout en veillant à la mise en oeuvre des engagements pris. L'urgence climatique appelle à une accélération décisive du mouvement de transition écologique, et donc à une profonde remise en cause des intérêts établis. Dans ce contexte, il faut reconnaître que les négociateurs du climat ne prendront pas d'engagements plus ambitieux que ce que les sociétés sont prêtes à assumer. Les coalitions volontaires et l'action militante demeurent les alliés indispensables de la diplomatie climatique : elles seules peuvent susciter le nécessaire sursaut collectif.
Carole Mathieu est Responsable des politiques européennes au Centre Énergie & Climat de l'Ifri.
Introduction au dossier "Climat : quelle marche suivre ?" publié dans Politique étrangère, vol. 87, n° 1, printemps 2022.
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