Europe de l'Électricité : une perspective historique
L’Europe, il y a vingt ans, était à la pointe en matière d’énergie et d’électricité, aujourd’hui, elle est en recul. Dans les années quatre-vingt-dix, l’électricité y était à la fois abondante et abordable, avec de grands groupes industriels leaders dans leur domaine et des opérateurs électriques de référence dans le monde. Aujourd’hui, l’Europe a une électricité plus chère que ses grands compétiteurs, son tissu industriel perd du terrain et ses électriciens sont mis en difficulté.
Rendre compte de ce retournement nécessite un retour historique. Le succès de l’Europe de l’électricité entre 1880 et 1980 est marqué par deux caractéristiques majeures : (i) la capacité à penser ensemble attentes sociales, technico-économie et institutions et (ii) la diversité des modèles nationaux d’organisation des systèmes électriques. Entre 1880-1920, la période du boom de l’électricité, on appréhende alors ensemble attentes (usages rêvés puis incarnés dans d’innombrables objets techniques), technico-économie (on innove pour rendre ces usages possibles en baissant les coûts drastiquement) et institutions (on élabore le modèle industriel et la réglementation adaptés à ces attentes et à la technico-économie). La période 1920-1980 connait un fort développement « bottom up » du système électrique européen qui aboutit à un système interconnecté de Lisbonne à l’Europe de l’Est. Une diversité structurelle entre modèles nationaux se met en place liée à la géographie, mais aussi aux circonstances géopolitiques (les deux guerres mondiales, la montée des nationalismes) comme à la responsabilité individuelle de collectifs d’acteurs clés dans l’histoire du secteur.
Les années quatre-vingt-dix voient une rupture dans l’approche. La logique de construction « bottom up » du système électrique européen cède la place à une logique « top down ». Un modèle uniforme pour tous les pays se substitue à la diversité ancrée dans l’histoire des modes d’organisation nationaux. A défaut d’un projet énergétique commun, on aborde l’électricité par les outils à disposition de la Commission européenne (concurrence puis environnement) au lieu des aspirations (notamment en termes de croissance, industrie, rôle de l’Europe dans la mondialisation, etc.) et de la technico-économie (avec une prospective qui va se révéler peu résiliente à la crise et à la montée des pays émergents). Cette vision abstraite et peu « systémique » mise en œuvre depuis une vingtaine d’années aboutit à des résultats plus que décevants en matière de CO2, de compétitivité et de développement industriel.
Ce retour historique offre quelques pistes pour l’avenir. Tout d’abord pour retrouver un projet commun pour l’énergie en Europe, il faut passer, sans doute, par la capacité à repenser ensemble attentes sociales, technico-économie et institutions et à les traduire en récit cohérent. Dans ce cadre, un retour sur les attentes doit permettre de traiter ensemble l’enjeu majeur du climat et les enjeux liés à une Europe puissance économique, industrielle et géopolitique dans un monde multipolaire. Au plan de la technico-économie, il s’agit d’éviter le « choix du vainqueur » pour ouvrir sur les incertitudes technologiques bien présentes devant nous. Enfin, en termes d’institutions, un important chantier d’innovation s’ouvre, en sachant aussi s’inspirer des expériences faites ailleurs : de certains aspects intéressants du système des Etats-Unis (en matière de subsidiarité et de gestion de la diversité des modèles d’organisation entre Etats) ou encore du Brésil ou du Royaume-Uni (en matière de rôle des appels d’offres, des contrats de long terme et d’une programmation des investissements).
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