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Nous sommes entrés dans le troisième âge nucléaire

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chronique paru dans la revue

  Études
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En octobre 2017, le prix Nobel de la paix a été attribué à l'International Campaign to Abolish Nuclear Weapons (ICAN) laissant croire à un progrès du désarmement. En réalité, les comportements non seulement de la Corée du Nord et de l'Iran mais aussi de la Russie, de la Chine et des États-Unis montrent à quel point le nucléaire conditionne la vie internationale.

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Pour beaucoup d'Européens, les arsenaux nucléaires marquent une époque historique, celle de la Guerre froide. Ils considèrent volontiers que la problématique se résume désormais à celle du désarmement.

Pourtant, au-delà des États dotés, la possession de l'arme nucléaire demeure un objectif poursuivi par plusieurs pays. Ainsi, Pyongyang a créé une surprise stratégique en menant des essais nucléaires et balistiques démontrant sa capacité de frapper les territoires japonais et américain. Après une phase de tensions aiguës, Kim Jong-un a obtenu une reconnaissance diplomatique, le principe d'une rencontre avec Donald Trump. Pour l'Iran, l'acquisition de l'arme nucléaire constitue, encore et toujours, un objectif de long terme car elle doit garantir sa sécurité contre Israël et l'Arabie saoudite, tout en lui donnant une influence globale. Signé en juillet 2015 entre Téhéran, le P5+11 et l'Union européenne, le Joint Comprehensive Plan of Action prévoit un arrêt du programme nucléaire contre la levée des sanctions économiques. Même s'il a été respecté par la partie iranienne, ce plan a été dénoncé par Donald Trump sous l'influence israélienne. La politique américaine est fondamentalement contradictoire : elle envisage un sommet avec Pyongyang alors qu'elle rompt l'accord avec l'Iran.

Les précédents de l'Irak et de la Libye montrent à tous les régimes dictatoriaux les risques pris à renoncer à leurs programmes d'armement. Signé en 1994, le mémorandum de Budapest prévoyait la sécurité de l'Ukraine après la restitution à la Russie des armes nucléaires placées sur son territoire à l'époque soviétique. Vingt ans après, Moscou a annexé la Crimée et a déstabilisé le Donbass. Il y a fort à parier que ces exemples encouragent des États à se doter d'armes de destruction massive, chimiques ou nucléaires, en dépit des régimes d'interdiction. Les pays européens, et en particulier la France, seule puissance nucléaire de l'Union après le Brexit, doivent se préparer à la « piraterie stratégique », c'est-à-dire à l'arrivée de puissances régionales capables d'exercer des pressions directes sur les grandes puissances nucléaires.

Dans Guerre et stratégie au XXe siècle (Fayard, 2014), Christian Malis (1967-2017) avait annoncé l'avènement de ce troisième âge nucléaire. Le premier âge correspondait à celui de la dissuasion entre grandes puissances, alors que le deuxième correspondait à la phase de désarmement ayant suivi la Guerre froide. Elle est aujourd'hui révolue et implique un renouveau de la pensée stratégique française. Superbe construction conceptuelle, la dissuasion nucléaire française, telle qu'elle est pensée, peut conduire à une grave faute d'analyse : croire que les autres pensent le fait nucléaire comme nous le faisons, c'est-à-dire en voyant l'arme nucléaire comme une arme de non-emploi. En raison de son importance philosophique et stratégique, elle nécessite un effort continu de réflexion, encore limitée, en raison de son caractère sensible, à un petit nombre de militaires, de politiques et d'experts civils.

Deux ouvrages récents apportent les éléments indispensables à un débat éclairé sur le sujet. Dans Pourquoi la dissuasion (PUF, 2017), Nicolas Roche invite à « réapprendre notre grammaire nucléaire ». Dans La dissuasion au troisième âge nucléaire (Le Rocher, 2018), Pierre Vandier constate les effets de la « sanctuarisation agressive », c'est-à-dire du glissement des armes nucléaires de la préservation du territoire national à la capacité d'« augmenter le niveau des enchères dans les crises périphériques ». Si le désarmement nucléaire reste un objectif aussi louable que souhaitable à terme, les campagnes en sa faveur ne doivent pas se tromper de cible : ce n'est pas le niveau de stricte suffisance de l'arsenal français, mais l'arrivée de nouveaux acteurs et l'opacité doctrinale de puissances traditionnelles.

1 Les cinq membres permanents du conseil de sécurité des Nations unies et l'Allemagne.

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Thomas GOMART

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