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L’Arabie saoudite, un pays en profonde mutation (1)

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L’Arabie saoudite n’apparaît vraiment sur la carte du monde qu’en 1932 et ne devient une puissance avec laquelle il faut compter que dans la décennie 1970. La crise pétrolière de 1973, qu’elle a en partie provoquée, lui permet d’afficher son leadership dans le monde arabe.

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La hausse des prix du pétrole, jointe au développement de sa production en hydrocarbures, lui donne les moyens de son affirmation internationale comme de son développement interne.

Aujourd’hui, au milieu du chaos moyen-oriental, elle apparaît comme un pôle de stabilité. En raison de l’effacement de l’Egypte, elle revendique un leadership non seulement du monde arabe mais également du monde musulman.
Cependant elle se trouve à un moment crucial de son histoire. En politique intérieure, l’heure est proche du passage du pouvoir des fils du fondateur du royaume, Ibn Saoud, à une nouvelle génération incarnée par Mohamed ben Salman -MBS -, récemment intronisé prince héritier. Sur le plan économique, le pays connaît une crise grave : la chute des prix du pétrole met en évidence tous les inconvénients de sa forte dépendance des hydrocarbures. Sa situation financière est difficile : les ressources sont en forte baisse alors que les charges croissent fortement en raison des engagements extérieurs. La société civile, hyper connectée, est en profonde mutation et conteste un modèle social d’un autre âge. La sécurité intérieure est menacée par des groupes djihadistes qui mettent en cause la légitimité de la famille des Saoud, tout en se réclamant d’une idéologie proche du Wahhabisme. Le développement de l’influence de l’Iran dans le monde arabe et son programme nucléaire sont considérés comme une « menace existentielle » qui la conduit à lui faire la guerre par procuration sur plusieurs champs de bataille, notamment la Syrie et le Yémen.


Face à ces nombreux défis, quelle est la réponse apportée par la famille des Saoud ? Denis Bauchard, ancien ambassadeur de France, conseiller à l’Institut français des relations internationales (Ifri) pour le Moyen-Orient, analyse, en trois volets, les mutations de l’Arabie saoudite et s’interroge sur les chances de succès de la politique menée par le roi Salman et son fils.

1/ L’irrésistible ascension de MBS

Le 21 juin 2017, à 31 ans, le prince Mohamed ben Salman devient prince héritier. Dès l’intronisation du roi Salman en janvier 2015, il est apparu qu’un grand avenir était réservé à l’un de ses plus jeunes fils, Mohamed, nommé vice-prince héritier dès avril 2015. Des responsabilités importantes lui ont été dévolues : il cumule les fonctions de chef de la Cour royale, de premier ministre, de ministre de la défense et de président du Conseil économique et de développement, étendant ainsi son pouvoir sur les questions économiques, les problèmes de défense et de politique étrangère. Seules les questions de sécurité intérieure lui échappent et sont confiées à son cousin Mohamed Ben Nayyef.
Il prend ou inspire de multiples initiatives. Il engage le royaume dans la guerre au Yémen. Il provoque la rupture des relations diplomatiques avec l’Iran. Il lance un vaste plan de développement à long terme avec Vision 2030 , dont un des volets est la promotion de l’industrie du divertissement dans le Royaume. Il se pose en réformateur d’une société archaïque et crée la Fondation Misk dont l’objet est de « promouvoir le savoir et le leadership des jeunes dans l’Arabie saoudite de demain ». Plus récemment, il est à l’origine du véritable embargo qui vise le Qatar.

Une nouvelle génération de ministres et de technocrates

Dans le même temps, le roi Salman écarte de toute responsabilité ses quelques frères survivants, comme Mukrine, évincé de sa fonction de prince héritier, Ahmed et Tallal. MBS épure le ministère de la défense de tous les proches du prince Sultan, qui a occupé ce département ministériel de 1963 à sa mort en 2011. Il en est de même au ministère des affaires étrangères pour les proches de l’ancien ministre Saud ben Fayçal qui a dominé la diplomatie saoudienne pendant près de quarante ans. Seul, le prince Mutaib ben Abdallah a conservé ses responsabilités à la tête de la garde nationale, véritable armée contrôlée par le clan du défunt roi Abdallah, qui compte près de cent mille hommes, recrutés dans les tribus. A l’inverse, il nomme de jeunes princes à des postes de responsabilité, à commencer par son jeune frère Khaled, nommé ambassadeur aux Etats-Unis, ou Abdel Aziz, nommé ministre d’Etat à l’énergie. Il flanque chaque gouverneur d’un vice-gouverneur, choisi parmi les jeunes princes, petits-enfants, voire arrière-petits-enfants d’Ibn Saoud. D’une façon générale, il a nommé et fait nommer une nouvelle génération de ministres ou de technocrates aux postes de responsabilités les plus importants. Il a ainsi mis en place un nouveau groupe de dirigeants qui lui doivent tout et sur lesquels il peut compter.
MBS a préparé de façon méthodique l’éviction le 21 juin 2017 de Mohamed ben Nayef, prince héritier en titre depuis 2015, qu’il remplace, avec l’aval d’un Conseil d’allégeance qui a été, à l’évidence, mis devant le fait accompli et dont les membres ont sans doute obtenu quelques contreparties. Après l’éviction de MBN, Il crée une « présidence de la sûreté de l’Etat » qui regroupe les services de renseignement et plusieurs services de sécurité dépendant du ministère de l’intérieur et rattache ce nouvel organisme directement à la primature. Cumulant toutes les responsabilités, notamment celles de prince héritier et de premier ministre, il est apparemment sans rival sérieux. Il est donc en bonne position pour succéder à son père. Ainsi, contrairement à l’ordre ancien de succession adelphique, c’est à dire de frère en frère, la succession se fait de père en fils : seuls les membres de la famille du roi Salman auraient vocation à devenir roi. Déjà des rumeurs circulent sur la perspective d’une abdication du roi Salman, qui serait en mauvaise santé, au profit de son fils.

Accueil favorable et fortes résistances

Une telle situation est sans précédent dans l’histoire du royaume. En effet jusqu’à maintenant les successions s’étaient déroulées dans le cadre d’un consensus familial et par ordre d’ancienneté des fils du roi Ibn Saoud éligibles. Le gouvernement était formé pour l’essentiel de princes représentant les différentes branches de la famille des Saoud, avec un souci d’établir un certain équilibre entre elles. Les décisions politiques importantes étaient prises de façon collégiale, par consensus, le roi n’étant que le primus inter pares. D’une façon générale, la politique du royaume était prudente, tant en matière de réforme intérieure que de politique étrangère. Ce système avait certes ses avantages, mais également ses inconvénients et a conduit à choisir comme roi des personnalités de plus en plus âgées. Dans la perspective actuelle, le nouveau roi programmé apparaît particulièrement jeune.
Le charisme de MBS est évident. Son dynamisme, sa volonté de faire bouger la société est bien accueillie par une jeunesse qui supporte mal le conservatisme ambiant. Sa forte détermination, son pragmatisme, son langage direct font bouger aussi bien le pouvoir que la société. Mais il rencontre de fortes résistances qui, tout en étant feutrées, n’en sont pas moins réelles.
Tout d’abord, si de nombreuses initiatives ont été prises, peu d’entre elles, pour l’instant, ont débouché sur des résultats tangibles. Certes, la visite spectaculaire du président Trump, qui marque la réconciliation du royaume avec les Etats-Unis, et le renouvellement du pacte du Quincy, comme le succès du Sommet islamique réuni à Riyad, peuvent être portés au crédit du prince héritier. Cependant l’Arabie saoudite demeure sur la défensive par rapport à l’Iran qui continue d’étendre son influence dans le monde arabe. La situation économique reste difficile et la Vision 2030 apparaît pour l’instant un instrument de communication plus qu’une initiative opérationnelle. L’armée saoudienne s’enlise au Yémen. Le Qatar, malgré l’embargo subi, résiste et trouve des alliés. De plus en plus on reproche au jeune prince ses décisions impulsives voire aventuristes.

Des tensions au sein de la famille royale

Il est clair que des tensions existent au sein d’une famille royale nombreuse dont certaines branches sont dépossédées du pouvoir qu’elles exerçaient auparavant. Si les Souderis sont privilégiés, c’est au profit de la seule descendance du roi Salman, comme l’a montré l’évocation de Mohamed Ben Nayef. Même si la mise à l‘écart se fait dans les formes, et sans doute avec des compensations, elle n’en est pas moins ressentie de façon négative.
Une autre source de tensions est apparue après l’embargo décidé début juin dernier contre le Qatar. Dans le courant de ce mois de septembre, plusieurs personnalités conservatrices ou au contraire réformistes ayant pris une attitude critique à l’égard de cette décision jugée peu opportune, sont arrêtées. Parmi celles-ci figurent le cheikh Salman al-Awad – personnalité charismatique qui a 14 millions de followers sur Twitter à travers le monde islamique- ainsi que d’autres religieux de même que des intellectuels, comme Abdallah al-Maliki voire des hommes d’affaires qui critiquent les nouvelles orientations économiques prises. Ces mesures répressives d’une ampleur inhabituelle ont suscité un vrai malaise dans l’opinion.
Les milieux religieux traditionnels ne cachent pas leur désapprobation à l’égard d’initiatives, notamment dans le domaine des loisirs, qu’ils estiment peu compatibles avec l’islam tel qu’il est pratiqué dans le royaume. Le festival Comic-Com, pop art, jeux vidéo et séries TV organisé en février 2017 est un succès. Il en a été de même avec le concert à Djeddah un mois plus tard qui a réuni Rached el-Majed et Mohamed Abdou, deux chanteurs saoudiens très connus dans tout le monde arabe. Ces manifestions organisées par la très officielle « Autorité du divertissement » a heurté l’establishment religieux et suscité de vives réactions pour « indécence » dans les réseaux sociaux.

Le mécontentement des milieux d’affaires

Quant aux milieux d’affaires, ils ont été quelque peu surpris par l’arrêt brutal de nombreux grands projets publics, la suspension de contrats en cours, voire le non-paiement de contrats exécutés. Certes ces mesures étaient nécessaires en raison de l’ampleur du déficit budgétaire constaté pour l’exercice, lié lui-même à la baisse des revenus du pétrole et à la forte augmentation des charges. Mais elles ont provoqué un vif mécontentement et ont mis en difficultés plusieurs groupes importants, notamment dans le domaine du BTP où les groupes Ben Laden et Saoudi Oger doivent procéder à des licenciements massifs. Depuis lors, une certaine reprise des engagements a pu atténuer ce mécontentement. Par ailleurs les perspectives offertes par Vision 2030 et le programme de privatisations annoncé peuvent offrir des opportunités intéressantes pour les entreprises saoudiennes. Cependant les milieux d’affaires sont encore dans l’expectative en attendant de connaître les voies et moyens de la politique économique ambitieuse annoncée par le pouvoir.
C’est sans doute pour contrer ces oppositions latentes ou déclarées et affirmer son pouvoir que MBS a lancé une campagne de lutte contre la corruption sans précédent dans le royaume. Un « comité supérieur » a été ainsi créé en novembre 2017 : dirigé par le prince héritier, il a été chargé d’identifier et de sanctionner toute personne suspecte d’implication dans des affaires de corruption. Au total, plusieurs centaines de personnalités, et non des moindres, ont été ainsi « retenues » au Ritz Carlton de Ryad : parmi les personnalités visées, il y avait plusieurs membres de la famille royale, notamment le prince Mutaib, fils du roi Abdallah, et le prince Walid ben Talal, mais également des hommes d’affaires, des officiers généraux, d’anciens ministres. Officiellement, 380 personnes auraient été sanctionnées par ce comité, ce qui aurait permis de récupérer de leur part 106 Mds/$.

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Denis BAUCHARD

Intitulé du poste

Conseiller, Programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri

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