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Relations Chine-Balkans : « L’Union européenne a pris conscience d’une vulnérabilité à sa périphérie »

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interviewée par Arnaud Vaulerin pour

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La chercheuse Marie Krpata décrypte la stratégie d’influence et d’entrisme de Pékin dans la région et appelle l’Union européenne (UE) à revoir ses rapports avec ses voisins pour parer aux déséquilibres.

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C’est l’un des effets stratégiques de la guerre en Ukraine. Depuis seize mois, une plus grande attention est portée aux pays d’Europe centrale et orientale ainsi qu’aux Balkans occidentaux. Même s’ils ont entamé des discussions avec Bruxelles, ces pays du sud et de l’est européen – par ailleurs traversés par de vives tensions ou des troubles politiques ou mafieux – sont toujours dans un très long couloir vers l’intégration. Et soumis à de nombreuses influences, dont la plus connue est sans doute celle de la Russie. Chercheuse à l’Institut français des relations internationales (Ifri), Marie Krpata s’est intéressée à la stratégie de la Chine dans la région. Dans un récent rapport intitulé «l’Europe peut-elle faire l’économie d’une stratégie géologistique face à la Chine ?», la juriste et politiste de formation montre comment le régime chinois s’est intéressé à ces pays qui constituent pour lui un point d’entrée précieux dans l’UE.

Avec la guerre en Ukraine, l’Union européenne manifeste-t-elle un nouvel intérêt pour les Balkans ?

Il y a une prise de conscience de l’importance du voisinage de l’Union européenne. Les Balkans occidentaux attendent depuis vingt ans d’être intégrés à l’UE. Les équilibres au sein de l’UE sont potentiellement en train de changer aussi, avec des pays comme la Pologne ou les pays baltes qui gagnent en importance. L’UE n’a pas suffisamment fait attention à ce que disaient les pays d’Europe centrale et orientale dans le passé. C’était le constat et le sens du discours d’Emmanuel Macron à Bratislava le 31 mai.

En quoi la guerre en Ukraine a-t-elle permis cette prise de conscience ?

La guerre en Ukraine montre un resserrement du lien transatlantique, entre l’Union européenne, les Etats-Unis et les pays le plus pro-américains qui font partie de 17+1 [une coopération commerciale et financière entre la Chine et la plupart des pays de l’Europe centrale et orientale, ndlr]. La Pologne, par exemple, ne souhaite en aucun cas s’aliéner les Etats-Unis au moment où les Américains aident l’Ukraine contre la Russie. Ils prennent également leurs distances avec la Chine qui est en rivalité avec Washington. Et plus les Etats-Unis aident l’Europe contre la Russie, plus ils vont avoir des attentes vis-à-vis de l’UE pour qu’elle prenne plus clairement position par rapport à la Chine.

L’UE a-t-elle pris la mesure de ce que fait la Chine dans les Balkans ?

Si l’Union européenne veut être acteur géopolitique, il faut que cela commence par son environnement proche. Aujourd’hui dans les Balkans, il y a des influences de la Turquie, des Emirats arabes unis, de la Russie, mais également de la Chine. On l’a vu d’ailleurs durant la pandémie du Covid pendant laquelle le président serbe Aleksandar Vucic a profité de la diplomatie du masque et des vaccins, avec le grand frère chinois qui était à nouveau un ami sur lequel on pouvait compter. Les pays au sein de l’UE qui sont proches de la Chine ont souvent freiné des quatre fers lorsque l’Europe souhaitait prendre des positions communes, comme avec la décision d’arbitrage du tribunal de La Haye, en 2016, sur la politique de Pékin en mer de Chine méridionale ou en matière de droits de l’homme ou encore sur la question de la protection des avocats.

En quoi la Serbie est-elle un état particulier dans la stratégie de la Chine vis-à-vis des Balkans ?

A partir de 2008, la Serbie a cherché des partenaires qui ne reconnaissaient pas le Kosovo comme un pays souverain et indépendant, et donc elle a renforcé ses liens avec Pékin à ce moment-là. L’ancien président serbe Boris Tadic a ainsi fait de la relation avec la Chine l’un des quatre piliers de sa politique étrangère [les deux pays ont signé un accord bilatéral en 2009, Belgrade est l’allié principal de Pékin dans les Balkans]. Il y a le fameux pont de l’Amitié sur le Danube, en partie financé par la Chine. Les Chinois investissent dans l’Est, dans l’industrie minière et aussi massivement dans l’agroalimentaire. La Serbie a du poids dans les Balkans. Mais plus elle se rapproche de la Chine, plus cela devient compliqué d’intégrer l’UE, d’adopter son acquis communautaire. Car il y a des pratiques qui posent problème sur le plan environnemental, légal, social : l’impact des activités extractives et minières, le rôle des entreprises chinoises qui font appel à de la main-d’œuvre asiatique avec des conditions de travail douteuses. Il est également question de la protection des données personnelles et, enfin, du piège de la dette, l’un des reproches récurrents faits aux nouvelles routes de la soie.

Dix ans après le lancement des nouvelles routes de la soie, est-on à un tournant dans les relations entre la Chine, les Balkans et l’Europe orientale, avec notamment le groupe 17+1 qui est devenu le 14+1 ?

En Europe, ce projet arrive à une certaine limite. Les 17 sont en effet devenus 14, avec la Lituanie qui s’est retirée après avoir ouvert une représentation de Taïwan à Vilnius en 2021, l’Estonie et la Lettonie lui emboîtant le pas. Il y a également la République tchèque qui commence à prendre ses distances. La présidente du Conseil italienne, Giorgia Meloni, est en train de revoir ses positions avec les nouvelles routes de la soie. L’Allemagne a un rôle important à jouer. La Chine est le premier partenaire commercial de Berlin. Mais avec la nouvelle coalition au pouvoir, il y a chez les Allemands la volonté d’être moins naïfs par rapport à la deuxième puissance économique de la planète. Le gouvernement est en train de travailler sur une stratégie nationale de sécurité. Les ébauches qui ont fuité l’année dernière mettaient l’accent sur une Chine qui était concurrente et rivale systémique plutôt que partenaire. Mais cette stratégie tarde à être publiée. Berlin n’a pas envie de trop se fâcher avec Pékin mais veut montrer en même temps qu’il sait être ferme.

L’Europe se fait-elle entendre ?

Dans ses rapports avec les pays des Balkans candidats à l’intégration, Bruxelles met en avant le principe de conditionnalité. En face, la Chine propose des moyens faciles d’une certaine manière, rapides, un cadre où la démocratie, les droits de l’homme ne sont pas considérés comme un élément déterminant. L’Union européenne a pris conscience d’une vulnérabilité à sa périphérie.

Dans le même temps, la Chine dit qu’elle accompagne la Serbie dans son chemin vers l’adhésion à l’Union européenne.

Quand certains disent que la Chine divise pour mieux régner, notamment via le groupe 17+1, Pékin défend en effet son action pour accompagner la Serbie au sein de l’UE. Mais quand on regarde les différents chantiers des nouvelles routes de la soie lancées il y a dix ans par Xi Jinping, une des critiques récurrentes est le piège de dette. La Chine attribue des prêts à des Etats qui ne peuvent pas les rembourser. Ils se rendent donc vulnérables à l’influence chinoise. C’est le cas notamment du Monténégro et du fameux tronçon d’autoroute Bar-Boljare reliant la Serbie et le Monténégro. Le pays est endetté à un niveau important de son PIB (107 % en 2020). Il a fait appel à l’Union européenne pour rembourser ce prêt.

Vous mentionnez également la ligne de chemin de fer à grande vitesse Belgrade-Budapest financée par la Chine.

Il s’agit d’un contrat dont les clauses ont été tenues secrètes pendant dix ans. Cela pose quelques questions sur le contrôle démocratique qu’on peut avoir sur ce type de projet. La Commission européenne avait fait en sorte qu’il y ait un marché public qui soit organisé pour l’attribution de ce tronçon ferroviaire. C’est un consortium avec une entreprise chinoise et un ami proche de Viktor Orbán qui a gagné ce projet.

L’un des modes opératoires de la Chine pour jouer de son influence est le rachat d’entreprises.

C’est une pratique qui s’applique davantage à l’Europe occidentale, parce qu’en réalité, c’est la région ciblée prioritairement par Pékin, qui cherche des débouchés pour vendre ses surplus de production industrielle via les nouvelles routes de la soie. Et les pays d’Europe occidentale ont un pouvoir d’achat qui est évidemment bien supérieur à celui d’Europe centrale et orientale et des Balkans occidentaux. Par ces rachats d’entreprises européennes, souvent spécialisées dans des domaines de niche, elle dispose de points d’entrée sur le marché européen. Cela lui permet également de s’adapter aux critères d’attribution des marchés publics européens, et de s’inspirer de leur savoir-faire et expertise, notamment en vue d’établir des standards internationaux.

Propos recueillis par Arnaud Vaulerin

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Marie KRPATA

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