09
fév
2024
Espace Média L'Ifri dans les médias
Le Président Vladimir Poutine, Moscou, 2022
Dimitri MINIC, interviewé par Maxime Birken pour Le HuffPost

Vladimir Poutine a profité de l’interview de Tucker Carlson pour s’adresser aux républicains américains

Chercheur à l’Ifri, Dimitri Minic décrypte la première interview donnée par Vladimir Poutine à un média occidental depuis le début de la guerre en Ukraine.

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Pour Le HuffPost, le docteur en histoire des relations internationales et chercheur au centre Russie-Eurasie de l’IFRI Dimitri Minic, auteur de Pensée et culture stratégiques russes (Éditions de la Maison des sciences de l’homme), décrypte les enjeux derrière cette rencontre Carlson-Poutine.

 

Quels messages Poutine voulait-il faire passer en accordant cette interview ?

Poutine veut faire comprendre qu’une Ukraine indépendante de la Russie n’existe pas et n’a aucune légitimité. Ensuite, il rabâche l’idée classique que la Russie est injustement la victime de l’Occident et de ses élites dominatrices. Son troisième message consiste à présenter une Russie indestructible sur le champ de bataille et résiliente aux sanctions massives qu’elle subit. Parallèlement, l’Occident est défini comme une entité affaiblie qui a fait de graves erreurs de calcul. Cette confrontation entre la Russie, l’Ukraine et l’Occident est qualifiée d’insensée et d’inutile par Poutine.

Mais le dernier message est sans doute le plus important car il n’a cessé de le répéter : Poutine se dit prêt et dit avoir toujours été prêt à négocier, à un accord, mais exige que Washington cesse de livrer des armes, et que Kiev se montre plus conciliant. Il insiste sur le fait que la négociation est inévitable et que les Ukrainiens et les Russes (un seul et même peuple, selon le récit impérial russe) finiront par se réconcilier malgré toutes ces souffrances.

 

Qui est réellement visé par ce narratif de Vladimir Poutine ?

La première cible, c’est l’électorat américain républicain. L’idée est moins de rassurer les pro-russes américains, déjà convaincus, que de conforter les arguments des nouveaux républicains ni pro-russes ni pro-ukrainiens mais « isolationnistes » et de créer une accointance avec eux. Plus largement, les messages de Poutine s’adressent aux forces politiques souverainistes, anti-américaines, anti-européennes partout en Occident.

Le Kremlin veut neutraliser les Occidentaux et ainsi isoler l’Ukraine, en l’éloignant de toute aide extérieure, notamment militaire. Porter un discours pacifiste et faire passer Kiev pour un belliciste hystérique sont censés y contribuer. Et pour la Russie, qui sous-estime l’Union européenne, dont les principaux membres sont qualifiés par le Kremlin de vassaux américains, la principale cible est Washington. Moscou estime sûrement qu’évincer l’UE d’Ukraine sera un jeu d’enfant si les États-Unis se désintéressent de la question. L’objectif politique de la Russie reste la soumission de l’Ukraine, d’une manière ou d’une autre

 

Le timing de cette interview intrigue. Pourquoi attendre autant pour réaliser une interview avec un média occidental ?

C’est un moment important. La contre-offensive ukrainienne de septembre 2022 a eu un effet considérable en Russie. Moscou s’est vu contraint de prendre des décisions difficiles qu’il avait évitées jusqu’ici. Le Kremlin a pris des risques (mobilisation partielle, mobilisation de l’économie…) et a connu une période d’affaiblissement interne, avec l’émergence d’un discours nationaliste critique sur la façon de mener la guerre. Cette période a nourri les appétits et les ambitions, comme l’illustre l’affirmation progressive de Prigojine à la faveur de cette défaite.

La contre-offensive a également eu un effet politique considérable en Ukraine et en Occident, en instillant l’idée que l’Ukraine pouvait gagner la guerre et reprendre les territoires occupés. La capacité de rebond russe a été grandement sous-estimée et les efforts ukrainiens nécessaires pour reconquérir les territoires occupés probablement sous-estimés.

Mais il faut reconnaître que ce tournant difficile pour le Kremlin, qui s’est à mon sens terminé avec la probable élimination physique de Prigojine, a été relativement bien négocié et, surtout, conforté par l’échec de la contre-offensive ukrainienne. La Russie s’est adaptée et s’est montrée plus résiliente que prévu.

Cette interview viserait donc à symboliser l’inversion du rapport de force ?

Au moins, l’inversion de la perception partagée en Occident de l’évolution du rapport de force. L’entretien avec Carlson permet de renforcer cette perception et de justifier, d’étayer, de rendre logique et normal le possible abandon à venir de l’Ukraine par Washington.

Pour renforcer l’inversion de la perception de l’évolution du rapport de force, Poutine voudra probablement engranger des succès territoriaux supplémentaires cette année : Avdiïvka dans la perspective de l’élection présidentielle russe, et peut-être dans celle des élections américaines, la tentative de reprendre les territoires récupérés par l’Ukraine lors de la fameuse contre-offensive de Kharkiv (une concentration de troupes russes dans cette zone incite à le penser).

Pourtant, non seulement rien n’est perdu pour l’Ukraine sur le plan militaire -surtout si l’UE prend ses responsabilités sur la durée- mais en outre Poutine fait de graves erreurs lorsqu’il est confiant.

Tucker Carlson s’est montré très docile pendant cette interview, mais avez-vous retenu un moment « poils à gratter » de sa part ?

Il suffit de comparer cette interview de Carlson à la dernière de Poutine avec un journaliste américain à l’été 2021. À l’époque, on avait vu ce qu’était un vrai journaliste face à Poutine. Carlson a de nombreuses accointances idéologiques avec Poutine.

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