18
avr
2024
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Tours de refroidissement d'une centrale nucléaire dans la province du Kurdistan, Iran
Héloïse FAYET, citée par Léa Deseille pour France Info

Attaque de l'Iran contre Israël : où en est Téhéran dans sa quête de l'arme nucléaire ?

Les tensions autour du programme nucléaire iranien sont rehaussées par la crainte d'un conflit ouvert avec Israël. Si rien n'indique que le pays dispose de la bombe atomique, il s'en rapproche.

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Jusqu'où ira le cycle des représailles ? Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a répété, mercredi 17 avril, que son pays "se réservait le droit de se protéger" face à l'Iran, après l'attaque iranienne inédite qui a visé son territoire. Dans la nuit du 12 au 13 avril, l'armée iranienne a lancé plus de 350 drones en direction du territoire israélien, en réponse à une frappe contre le consulat iranien à Damas (Syrie) imputée à l'aviation israélienne. Si la grande majorité des engins a pu être interceptée, avec l'aide de plusieurs nations alliées d'Israël, l'exécutif israélien a promis de riposter. "Nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à une telle agression, l'Iran ne sortira pas indemne de son attaque", a clamé le porte-parole de l'armée, Daniel Hagari.

Près de cinq jours après l'attaque iranienne, la réplique israélienne n'a pas encore eu lieu. Mais plusieurs responsables occidentaux appellent à la retenue, redoutant qu'une offensive israélienne entraîne un embrasement régional avec un pays dont le programme nucléaire inquiète. Depuis des années, ce sujet est en effet au cœur des tensions entre Téhéran et Tel-Aviv, qui accuse la république islamique de chercher à acquérir l'arme atomique. Franceinfo résume ce que l'on sait des capacités nucléaires réelles de l'Iran.

L'Iran ne respecte plus les restrictions

"Aujourd'hui, l'Iran n'a pas l'arme nucléaire", assure à franceinfo Héloïse Fayet, chercheuse à l’Institut français des relations internationales, spécialiste de la prolifération nucléaire. La république islamique d'Iran est membre du traité de non-prolifération des armes nucléaires depuis 1968. Les Etats signataires qui ne disposent pas de la bombe atomique s'engagent à ne pas la développer.

Pour autant, Téhéran est soupçonné de longue date d'avoir tourné le dos à cet engagement. C'est la raison pour laquelle plusieurs grandes puissances, dont les Etats-Unis et la France, ont négocié l'accord international de Vienne, signé en 2015, dans lequel l'Iran accepte, en échange de la levée de sanctions internationales, un encadrement de sa production d'uranium enrichi, qui peut servir à la conception d'armes nucléaires. Mais depuis que les Etats-Unis se sont retirés de l'accord, sous la présidence de Donald Trump en 2018, l'Iran s'est affranchi de ces limites.

D'après l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui contrôle l'exécution de l'accord, le pays continue d'augmenter sa production d'uranium enrichi. Le 20 février, les stocks iraniens s'élevaient à 5,5 tonnes (contre 4,5 tonnes quatre mois plus tôt), soit 27 fois la limite autorisée par l'accord de Vienne.

De plus, "le taux d'enrichissement de l'uranium iranien ne correspond pas à une utilisation civile pour l'électricité et les hôpitaux", juge Héloïse Fayet.

L'accord de 2015 impose un taux maximum de 3,67%, et les experts considèrent qu'au-delà de 20%, l'objectif visé n'est pas l'utilisation civile, même si un enrichissement à 90% est nécessaire pour alimenter une bombe. Or, Téhéran produit de l'uranium hautement enrichi à 60%, et avait même accéléré sa production fin 2023, avec de la ralentir au début de l'année.

Téhéran revendique les capacités de développer l'arme nucléaire

"L'Iran reste néanmoins très discret sur ses activités nucléaires", note Heloïse Fayet. Fin février, l'AIEA a fait part de "ses inquiétudes grandissantes". Son directeur, Rafael Grossi, a déclaré que Téhéran avait restreint "d'une manière sans précédent" ses interactions avec l'agence onusienne, réduisant fortement les visites d'inspection de ses installations, débranchant des caméras et retirant l'accréditation d'un groupe d'experts.

Rien ne présage pour autant d'une tentative concrète d'obtention de l'arme atomique de la part de l'Iran dans un futur proche, affirme Héloïse Fayet : 

"Il n'y a aucun signe de militarisation du programme nucléaire iranien." Le développement de l'armement nucléaire demande de larges investissements économiques, techniques et scientifiques. "Aujourd'hui, le bénéfice de l'arme nucléaire n'est pas égal aux coûts qu'il représente pour l'Iran", juge encore la chercheuse.

 

"Le principal bénéfice de posséder l'arme atomique est la dissuasion nucléaire. Mais l'Iran possède déjà un puissant arsenal balistique." Héloïse Fayet, spécialiste de la prolifération nucléaire.

 

"Israël hésite actuellement à contre-attaquer pour cette raison", poursuit la chercheuse.

Les mêmes hésitations ont été observées chez les responsables occidentaux. Lors du Conseil des gouverneurs de l'AIEA, qui s'est ouvert début mars à Vienne, ils avaient par exemple renoncé à soumettre une résolution sur le programme nucléaire iranien pour ne pas aggraver les tensions géopolitiques.

S'il ne possède pas l'arme nucléaire à ce stade, l'Iran a néanmoins "tous les moyens physiques pour la développer, il ne manque donc plus qu'une volonté politique", met en garde Héloïse Fayet.

Interrogé en février sur les capacités techniques de son pays, Ali Akbar Salehi, ancien président de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique, répondait que "les seuils scientifiques et technologiques avaient été franchis", résumant la situation par une métaphore : "De quoi a besoin une voiture ? D'un châssis, d'un moteur, d'un volant, d'une boîte de vitesses... Nous avons séparément tous les composants". Si tel est le cas, "il ne faudrait qu'un an ou deux à l'Iran pour obtenir" l'arme nucléaire, reconnaît Héloïse Fayet.

 

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