16
mar
2024
Espace Média L'Ifri dans les médias
Tatiana KASTOUEVA-JEAN, citée par Anne Dastakian dans Marianne

2000-2024 : comment Vladimir Poutine a réduit à néant le processus électoral russe

Depuis sa première élection au poste de président en 2000, Vladimir Poutine n’a cessé de détricoter les embryons de démocratie implantés en Russie depuis la chute de l’URSS. La présidentielle des 15 au 17 mars, dont il est le seul véritable candidat, en l’absence de tous les opposants, exclus du scrutin, en exil ou emprisonnés, n’a plus grand-chose d’une véritable élection.

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« Nous regrettons que la situation se soit tellement détériorée en Fédération de Russie que nous ne puissions pas déployer d'observateurs pour l'élection présidentielle de mars », a déclaré la Finlandaise Pia Kauma, la présidente de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), dont la Russie est l’un des États fondateurs en 1975.

« Nous sommes très déçus de la décision de ne pas inviter l'OSCE à observer l'élection présidentielle russe », a renchéri l’Italien Matteo Mecacci, directeur du ODIHR (Office for democratic institutions and Human Rights, l’instance qui organise l’observation des élections). « Cela va à l’encontre des engagements pris par la Fédération de Russie à l’OSCE et, dans le même temps, privera les électeurs et les institutions du pays d’une évaluation impartiale et indépendante de l’élection ».

C’est du reste le second scrutin consécutif, avec les législatives de 2021, pour lequel Moscou a pris l’initiative de se passer des observateurs de l’OSCE, sans prendre la peine de s’en expliquer. « La toute première mission d'observation électorale organisée par l’OSCE s'est déroulée en Russie en 1993, et depuis lors, nous avons observé dix élections nationales dans le pays. Il est très regrettable que le recul démocratique ait atteint un point si critique que nous ne puissions pas être sur place pour observer cette année, mais nous continuerons bien entendu à suivre la situation de près », a conclu Pia Kauma.

Néanmoins, le déclin observé dans les libertés publiques et la transparence des urnes russes ne remonte pas à 2021. A-t-il pour autant débuté dès la première élection de Vladimir Poutine au Kremlin, en 2000 ?

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DURCISSEMENT

À en croire l’ONG Golos, déclarée « agent étranger » depuis août 2021, soit un mois à peine avant les dernières législatives, la dégradation du système électoral russe a culminé avec l'adoption de l’amendement de 2020 à la Constitution russe, accordant à Vladimir Poutine le droit exclusif de se faire réélire pour un troisième et un quatrième mandat consécutifs.

Mais, poursuit l’ONG, « c’est entre 2018 et 2023 qu’une majorité de changements législatifs ont été mis en oeuvre pour restreindre les droits électoraux des citoyens, réduire les possibilités de contrôle public et élargir les possibilités de manipulation. (...) Les changements apportés aux règles de financement des élections ont encore accru l’influence des responsables des gouvernements régionaux et locaux sur les membres des commissions électorales ».

 

LE CAS MELKONIANTS

L’ONG voit enfin dans la pérennisation d’un vote sur trois jours, présenté à l’époque du Covid comme une façon de réduire le risque de contagion, un encouragement à la manipulation des bulletins, qui sont stockés pendant trois jours avant d’être dépouillés.

Des critiques qui ne sont manifestement pas du goût des autorités. En août dernier, le pouvoir arrêtait le président de l’ONG Golos, Grigori Melkoniants, l’accusant d'être impliqué dans les activités du Réseau européen des organisations d'observation des élections, déclaré « indésirable » en Russie. Huit mois plus tard, il est toujours en prison, bien qu’il ait affirmé n’avoir aucune relation avec le réseau en question.
 

Pour Tatiana Kastoueva Jean, chercheuse à l’IFRI, les falsifications ayant lieu le jour des élections ne sont qu'une partie visible de l'iceberg : « Nombre de techniques électorales permettent d’orienter le résultat, notamment le matraquage préélectoral par la télévision étatique, qui constitue la seule source d’information de 60 % des Russes, ou les manipulations des votes électronique et anticipé, comptabilisés en dehors de tout contrôle extérieur et indépendant. Pour obtenir le taux de participation souhaité, les fonctionnaires et employés de compagnies publiques, dépendant de l’État, sont mobilisés pour voter ».

 

LE NATIONALISME BOOSTÉ
 

Enfin, le choix des candidats. En 2024, seuls trois quasi-inconnus ont été autorisés à se présenter, dont un, Vladislav Davenkov, représente le Parti du Nouveau Peuple, créé par l’administration présidentielle. Que deux candidats anti-guerre - Ekaterina Duntsova puis Boris Nadejdine- aient été exclus de la présidentielle montre, selon la chercheuse, une certaine inquiétude sur la popularité de la guerre en Ukraine.

« Une majorité de Russes voudrait que la guerre prenne fin », confirme Denis Volkov, directeur du centre indépendant Levada, désigné « agent étranger » en 2016. Mais cela n’affectera en rien le score du candidat Poutine, dont la popularité a bondi de 30 % à 60 % en février 2022, précise-t-il.

« Le conflit a boosté le nationalisme et le ralliement autour du chef. Pour la plupart enfermés dans leur vie, et peu affectés directement par la guerre, la majorité des Russes ira voter, et voter Poutine», poursuit le sociologue. "Car pour la plupart d'entre eux, les élections sont une institution importante. Même s’il n’y a pas d’alternative". Comme à l’époque soviétique, en somme …

 

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