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Géopolitique du dessalement d'eau de mer

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Le dessalement d’eau s’impose progressivement comme la solution de premier plan pour faire face au stress hydrique croissant, c’est-à-dire au déséquilibre entre la demande en eau et la quantité disponible. Les Nations unies estiment qu’en 2025, les deux tiers de la population mondiale seront concernés par ces défis. 

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Vue sur l’usine de dessalement d’eau de Dubaï  © shao weiwei/Shutterstock.com
Vue sur l’usine de dessalement d’eau de Dubaï © shao weiwei/Shutterstock.com
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Si les causes de la raréfaction de l’eau sont multiples (changement climatique, agriculture intensive et croissance démographique), elle impose aux États de repenser leurs politiques hydriques, centrales pour la préservation de leur stabilité, résilience et souveraineté.

Un véritable « boom » des industries de dessalement est à l’œuvre. La majorité des pays du Golfe dépendent désormais en grande partie de l’eau dessalée pour la consommation de leurs habitants : aux Émirats arabes unis (EAU), 42 % de l’eau potable provient d’usines de dessalement représentant plus de 7 millions de mètres cubes (m3) par jour, 90 % pour le Koweït, 86 % pour Oman, 70 % pour l’Arabie Saoudite. En 2022, plus de 21 000 stations de dessalement d’eau de mer sont opérationnelles dans le monde, soit presque deux fois plus qu’il y a dix ans, et le secteur connaît une croissance de l’ordre de + 6 % à + 12 % de capacité par an.

En 2030, les capacités de dessalement des pays du Moyen-Orient devraient quasiment doubler, s’inscrivant dans le cadre de plans quinquennaux annoncés afin de préparer la transition de ces économies à « l’après pétrole ». Les capacités de dessalement de l’Arabie Saoudite passeront de 5,6 millions de m3 par jour en 2022 à 8,5 millions de m3 par jour en 2025, et devront couvrir plus de 90 % de la consommation en eau du pays. De même aux EAU, au Koweït, à Bahreïn ou en Israël, où la production d’eau dessalée va plus que doubler d’ici à 2030.

Avec l’essor des solutions disponibles pour répondre à tous les besoins, ces technologies sont désormais demandées sur pratiquement tous les continents et le Moyen-Orient ne représente plus que 50 % des capacités installées dans le monde. En Afrique, des projets d’envergure ont été récemment annoncés en Algérie et au Maroc, pays jusqu’alors dotés d’eau potable en quantité suffisante. D’autres comme le Ghana, le Sénégal et le Kenya alimentent de nombreuses villes grâce à de l’eau de mer dessalée. C’est aussi le cas de la ville du Caire. Dans la zone indopacifique, notamment en Chine et en Inde, les besoins en eau dessalée augmentent, tirés vers le haut par une industrie en croissance et une eau disponible qui diminue. Pour la seule année 2020, plus de 35 usines de dessalement ont été annoncées en Chine, six aux Philippines et six à Taïwan. Sur le continent Américain, la côte ouest des États-Unis se démarque par d’importants projets en la matière (Californie), et le Texas n’est pas en reste. En Amérique latine, de nouveaux projets naissent au Pérou et au Chili majoritairement poussés par les besoins de l’industrie minière tandis qu’au Mexique la demande d’eau dessalée vient plutôt de la population. Enfin, les zones insulaires se démarquent par leur besoin élevé en eau dessalée : Cebu aux Philippines, le Cap-Vert, les Canaries ou encore les Maldives font de plus en plus appel à des capacités de dessalement.

Des leaders européens mais les acteurs asiatiques, ou locaux, prennent de l'essor

Les acteurs industriels sont nombreux et de tailles diverses bien que certains s’imposent depuis plus de dix ans comme les leaders incontestés du marché : en France, Engie et Veolia dont la fusion avec Suez ouvre de nouvelles perspectives sur le continent américain, au Moyen-Orient et en Europe, mais aussi IDE Technologies, champion israélien du dessalement, le coréen Doosan Heavy, le chinois Abengoa ou l’espagnol Acciona.

Plus récemment, des entreprises des pays émergents se sont singularisées par l’obtention de contrats d’envergure. C’est notamment le cas des acteurs du Golfe, l’émirati Metito et le saoudien Advanced Water Technologies. L’Égypte dispose également d’industriels. Dans l’ensemble, si la technologie de l’osmose inverse est largement maîtrisée, la différenciation se fait sur les capacités, les coûts opérationnels, la consommation d’électricité et la durée de vie des installations.

Un immense défi pour le climat

Dessaler l’eau de mer est un procédé cher, énergivore et qui rejette des quantités importantes de gaz à effet de serre (GES) dans la plupart des pays dotés d’un mix électrique très intensif en CO2. La consommation électrique des usines est élevée, variant selon les techniques à l’œuvre ; si les procédés de dessalement thermique, de moins en moins utilisés, consomment plus de 5 kilowattheures (kWh) d’énergie par m3 d’eau dessalée, le procédé de dessalement par osmose inverse, le plus répandu désormais, permet de dessaler 1 mètre cube (m3) d’eau avec en moyenne entre 2,5 et 3 kWh, le record étant établi par une usine saoudienne à 2,27 kWh. Dans les pays du Moyen-Orient, les usines de dessalement ont largement bénéficié d’un mix énergétique fondé sur les énergies fossiles et permettant un dessalement bon marché. La consommation d’électricité du secteur du dessalement d’eau a été multipliée par trois en Arabie Saoudite pendant la période 2005-2020, pour atteindre environ 6 % de la consommation totale d’électricité du royaume, soit environ 17 térawattheures (TWh) en 2020, où l’équivalent de la production annuelle d’une grosse centrale nucléaire. Un doublement des capacités de dessalement fera donc bondir la demande d’électricité, et les émissions associées si le mix électrique largement dominé par les hydrocarbures reste inchangé. La demande de gaz et de pétrole pour produire cette électricité en serait aussi augmentée. Plusieurs pays du Golfe commencent ainsi à mobiliser les énergies renouvelables, à l’image de la centrale par osmose inverse d’Al Khafji en Arabie Saoudite qui dessale chaque jour 60 000 m3, alimentée par des panneaux photovoltaïques. Enfin, on trouve également des centrales qui fonctionnent par énergie houlomotrice et géothermique.

Un autre enjeu qui se pose quant au dessalement est la gestion des saumures, c’est-à-dire des particules de sel qui ont été séparées de l’eau de mer et qui sont souvent rejetées dans la mer causant une augmentation des niveaux de salinité de l’eau.

Enfin, dernier enjeu clé : améliorer les performances sur l’ensemble de la chaîne, et pas seulement au niveau de la production. Les pertes sur les réseaux de transmission et de distribution à la sortie des usines jusqu’aux consommateurs finaux sont extrêmement élevées, atteignant des niveaux de plus de 50 % dans la plupart des pays du Golfe.

Dès lors, si le recours au dessalement semble inévitable et voué à connaître une expansion très forte, il est urgent de sortir de la dépendance de ces procédés aux énergies fossiles car le doublement des capacités installées au Moyen-Orient d’ici à 2030 devrait provoquer une hausse importante des émissions, à moins que les mix électriques, à l’instar des EAU qui ont notamment déployé du nucléaire, ne se verdissent.

Deux solutions sont donc requises : d’une part la mise en place d’usines de dessalement alimentées par des sources d’énergies bas carbone (champs de panneaux solaires, solaire à concentration, éoliennes, énergie houlomotrice, voire nucléaire) et éventuellement des centrales à cycle combiné pour l’appoint (éventuellement en cycle fermé), et donc la décarbonation des mix électriques pour assurer une alimentation bas carbone de ces usines. D’autre part, la construction d’infrastructures de la sorte ne doit pas se substituer à une politique d’efficacité énergétique, d’optimisation des parcs, de chasse aux pertes et gaspillages et de collecte et retraitement des eaux : il est indispensable d’améliorer la gouvernance de la ressource dans de nombreux pays, ainsi que de réduire les subventions à la consommation, pour réduire les pertes et inciter à mettre en œuvre des politiques durables d’utilisation de l’eau dans l’industrie, l’agriculture et le secteur résidentiel.

L’année 2023 sera marquée par la Conférence des Nations unie sur l’eau, et la présidence émirienne de la COP28, succédant à celle de l’Égypte, deux pays affichant de forts besoins, le développement d’une industrie durable et la rationalisation du marché de l’eau doivent être une priorité.

 

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979-10-373-0596-1

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Marc-Antoine EYL-MAZZEGA

Intitulé du poste

Directeur du Centre énergie et climat de l'Ifri

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Énergie et Climat
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Le Centre énergie et climat de l’Ifri mène des activités et recherches sur les enjeux géopolitiques et géoéconomiques des transitions énergétiques. Il travaille à la fois sur les enjeux de sécurité énergétique, de compétitivité, de maîtrise des chaînes de valeur, et d'acceptabilité. Spécialisé dans l’étude des politiques européennes de l’énergie et du climat, et des marchés de l’énergie en Europe et dans le monde, ses travaux portent aussi sur les stratégies énergétiques et climatiques des grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde. Il offre une expertise reconnue, enrichie de collaborations internationales et d'événements à Paris et à Bruxelles, notamment.

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