Les Émirats, des rois du pétrole qui misent aussi sur le renouvelable
Les Émirats arabes unis ont l’une des empreintes carbone les plus élevées au monde. Ils refusent de renoncer aux énergies fossiles, mais visent la neutralité climatique en 2050 en investissant dans les énergies propres.
Je reviens d’Islande. Voir la glace fondre permet véritablement de se rendre compte du changement climatique. Nous avons trop longtemps dédaigné la nature. Nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire et le temps est compté pour la réajuster.»
Cet appel à l’action lancé d’un air grave par la ministre du changement climatique des 2mirats arabes unis, Mariam Bint Mohamed Almheiri, devant des décideurs mondiaux réunis par l’Institut français des relations internationales (Ifri) à Abu Dhabi début novembre, peut sembler étonnant.
Révoltant même aux yeux des ONG environnementales du Réseau action climat (WWF, Greenpeace, Les Amis de la Terre…), qui n’ont cessé de dénoncer la présidence de la COP28 par son collègue Ahmed al-Jaber, ministre de l’Industrie et, surtout, dirigeant de l’Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc).
Pour les Émiriens, il n’y a là aucun paradoxe: al-Jaber pilote aussi le déploiement de champs photovoltaïques de la filiale Masdar, dans cette région qui détient 5 % des réserves mondiales de pétrole et 3 % des volumes de gaz naturel.
«Les Émirats arabes unis souhaitent s’affirmer sur la scène mondiale, motivant la normalisation de leurs relations avec Israël, tout comme leur volonté d’accueillir des événements internationaux», décrypte Thierry de Montbrial, fondateur de l’Ifri.
Le congrès de ce think-tank, tout comme l’Expo2020 et la COP28 à Dubaï, sont autant d’occasions de défendre leur vision de la transition écologique: continuer à investir dans les énergies fossiles, tout en déployant des énergies renouvelables.
Planter 100 millions d’arbres
Ces sept émirats doivent leur croissance fulgurante à la découverte de réserves de pétrole dans les années 1970. Imaginer la fin de l’or noir est donc pour eux autrement plus difficile que pour un pays européen. La stratégie émirienne est en réalité la même que celle déployée de longue date par la Norvège: employer les recettes pétrolières pour financer la transition écologique.
«Le véritable enjeu de cette COP est l’accélération des investissements locaux dans les énergies renouvelables», estime Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie et climat de l’Ifri.
Les émirats exploitent déjà trois des plus grandes centrales solaires au monde, dont celle d’al-Dhafra, inaugurée mi-novembre, avec ses quatre millions de panneaux pouvant alimenter 200.000 foyers. Et ils ont la même ambition régionale que celle proposée au monde par al-Jaber: tripler la capacité des énergies renouvelables d’ici à 2030. «Des objectifs ambitieux, mais il est urgent d’aligner les flux financiers», exhorte Francesco La Camera, directeur général de l’agence internationale des énergies renouvelables (Irena), dont le siège se trouve à Abu Dhabi. D’après des recherches menées avec l’organisation Climate Policy Initiative, les investissements pour les énergies vertes ne cessent d’augmenter dans le monde et prennent progressivement le pas sur les énergies fossiles.
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Une empreinte carbone parmi les plus élevées au monde
Mais sans parler de sobriété, le gouvernement essaie de convaincre ses près de 10 millions d’habitants de faire de petits gestes. Baisser de quelques degrés la climatisation, très polluante, comme à l’hôtel Park Hyatt d’Abu Dhabi. Ou opter pour une voiture hybride, mais toujours imposante, tels les chauffeurs de taxis omniprésents dans cette région où les transports en commun se résument aux deux lignes de métro de Dubaï. À 29,3 tonnes de CO par habitant en 2022, l’empreinte carbone émirienne est l’une des plus élevées au monde, bien au-delà des 17,9 tonnes émises par un Américain et plus de quatre fois supérieure à la moyenne française, d’après la Commission européenne. Mais la population des Émirats est en forte croissance, et si les émissions totales ont été multipliées par cinq ces trente dernières années, celles par habitant ont été divisées par un et demi.
À l’approche de la COP, les autorités ont relevé leurs objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à 40 % d’ici à 2030, par rapport à 2019, pour arriver à la neutralité carbone en 2050. Une promesse similaire à celle des 27 pays européens, mais bien plus ambitieuse pour les 7 monarchies. Et qui peut vite être efficace: «La taille des projets énergétiques est bien supérieure à ceux de nos pays et surtout les délais d’octroi des permis sont très courts», note Marc-Antoine Eyl-Mazzega.
«Beaucoup de visiteurs de Masdar City nous envient cette capacité d’exécution, témoigne Lutz Wilgen, responsable du design de cette ville nouvelle située près de l’aéroport d’Abu Dhabi, mise sur les rails en 2008 par al-Jaber. Il faut considérer ce projet dans son contexte régional», souligne-t-il, invitant à emprunter les navettes autonomes du français Navya pour découvrir cette ville sans voitures.
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Fermes verticales
«Chaque région a son histoire et doit faire sa part. Nous sommes pleinement engagés dans la diversification de notre économie, dont 70 % ne proviennent plus du pétrole. Pour que le développement soit durable et désirable pour la jeunesse, nous ne devons pas nous arrêter à la question énergétique», souligne Mariam Bint Mohammed Almheiri.
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Lors de cette COP28, le débat sur le sort des énergies fossiles sera âpre. «Nous devons réussir à fixer une date pour la sortie des énergies fossiles», insiste Laurent Fabius, président de la COP21 à Paris en 2015. Il souligne l’importance d’inclure les pays producteurs de pétrole dans les négociations, même s’ils font la sourde oreille à l’agence internationale de l’énergie, qui les implore de ne plus investir pour espérer atteindre les objectifs de l’accord de Paris.
«Il ne faut pas oublier que le coût de production des hydrocarbures est ici parmi les plus bas au monde. En outre, les Émiriens commencent à améliorer la performance environnementale, en alimentant le processus d’extraction par de l’énergie solaire et nucléaire, insiste Marc-Antoine Eyl-Mazzega. Les producteurs émiriens considèrent qu’ils seront parmi les derniers à fermer le robinet.»
Au lieu de partir dans les pipelines, le brut est par ailleurs de plus en plus transformé en produits chimiques, utilisés pour améliorer la durabilité d’une multitude de produits. «Les mousses polyuréthanes permettent d’isoler des logements et les polymères allègent les véhicules pour diminuer leur consommation», explique Jean Sentenac, PDG de la société française Axens, qui accompagne des compagnies pétrolières locales dans leur évolution. Plutôt que d’une moindre consommation d’or noir, les émirats sont adeptes d’une meilleure consommation.
> A lire en intégralité sur le site du Figaro
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